Mais qu'est-ce qui pousse donc Gervais Pomerleau à écrire, lui qui cumule les titres à une vitesse folle sans pour autant être connu? Que son nom ne vous dise rien n'a, en soi, rien de surprenant puisque la critique s'en désintéresse, ce qu'il lui rend bien au demeurant.

          Ne se plaît-il pas à paraphraser tous ces écrivains incompris de la critique et à qui l'histoire a donné raison? De toute façon, ne sont-ils pas légion ces incompris de la critique? Un de plus, un de moins, il n'est certes pas le premier à qui ça arrive, non plus que le dernier. Sans doute que les requins qu'il côtoie depuis toutes ces années lui ont appris à se servir de ses dents... et, de tous ces incompris de la critique, peut-on se demander, lequel est son préféré? Qu'est-ce qu'il disait? «Les critiques, c'est comme les eunuques: ils savent comment ça se fait, ils le voient faire, mais ils ne peuvent pas le faire.» C'est de Robert Thomas... Mais il s'en garde toujours en réserve, prêt à pourfendre ceux qui, rémuras, profitent de la manne, tout en crachant dans la soupe.

            De toute façon, si les critiques ne se préoccupent pas de ses écrits, lui se garde bien d'écrire pour eux. Preuve de cette assertion, ne sont pas rares les badauds qui lui écrivent pour lui dire combien ils ont aimé tel ou tel autre de ses ouvrages. C'est, assure-t-il, sa plus belle gratification, parce que ce sont ceux pour qui il écrit qui lui disent que ça leur plaît ou non. N'est-ce pas, tout compte fait, tout ce qui importe?

           Un fait demeure incontestable: sans grand risque de se tromper, on pourrait dire que Gervais Pomerleau est l'un des écrivains les plus productifs que le Québec compte actuellement. Seize volumes en dix ans et, assure-t-il, il a encore des réserves pour près d'une dizaine d'autres publications.

          Né à Jonquière (Québec), Gervais Pomerleau est juché sur des semelles de braise depuis sa jeunesse; il a compris tard que seule l’eau salée pouvait éteindre le feu couvant sous ses pieds. C’est pourquoi, depuis une vingtaine d’années, il vit à l'Étang-des-Caps, un hameau de l'Ile du Havre-Aubert aux Iles-de-la-Madeleine (Québec), ce qui ne l'empêche pas de retourner à l'occasion au pays de ses racines.

      Journaliste, peintre et écrivain, il aurait pu être un oiseau, mais n'arrivait pas à se brancher. Après avoir participé à des collectifs de poésie, il a publié Coffin aux Éditions de la Marée Montante en 1980, une pièce de théâtre sur le célèbre procès du prospecteur gaspésien Wilbert Coffin, accusé du meurtre de trois chasseurs américains au début des années '50, pièce qui lui aura valu La Plume saguenéenne la même année. Puis il s'approche lentement de la nouvelle et publie, dans un collectif paru aux Inéditions de la revue Écrits, dans le cadre de l'Année internationale de l'alphabétisation, Moitié-Moitié. Mais, toujours, il continue de se cacher derrière l'anonymat du collectif.

      Tandis que plus ou moins tout le monde est convaincu qu'il a mis un terme à l'écriture, dans le secret de son alcôve madeleinienne, l'homme continue à écrire, cumulant les pages par centaines, mais jamais rien ne paraît publiquement. Pourquoi continuer à écrire si c'est pour garnir les tiroirs? Est-ce à dire qu'il ne propose pas ses manuscrits aux éditeurs? Que si! Des deux côtés de l'Atlantique. Mais si les rapports de lecture sont flatteurs, si les comparaisons sont élogieuses (de Socrate et Platon à Yourcenar en passant par Rousseau, la Comtesse de Ségur et autres), les éditeurs ne se bousculent pas aux portes.

      Puis, en 1992, Humanitas lui donne enfin sa chance et publie un premier roman, Tison-Ardent, l'histoire d'une vieille amérindienne qui, sentant venir la fin, décide de transmettre à son petit-fils, la somme des connaissances acquises au cours de sa vie. Ce sera le premier volet de ce qui s'appelle déjà, dans l'esprit de l'auteur, la trilogie L'Essence d'un Peuple.

      Depuis le temps qu'il affirmait avoir des tiroirs regorgeant de manuscrits, on allait bien voir si, oui ou non, il avait eu son chant du cygne dès sa première publication solitaire. L'année suivante, il publie chez le même éditeur, Les Colères de l'Océan, et ouvre la voie aux Chevaucheurs de Vagues, annonçant d'amblée qu'il s'agit là de la première tranche d'un cycle qui doit compter pas moins de cinq titres. Ce sera, assure-t-il, sa façon personnelle d'empêcher les glaces d'envahir les eaux du Golfe St-Laurent. Pressé, la même année, il publie chez le même éditeur, dans un autre collectif, la nouvelle Navigateur placentaire.

      Deux publications dans la même année? Oui, d'accord, une des deux est partie intégrante d'un collectif. Mais c'est un début prometteur. Et l'homme assure qu'on n'a encore rien vu. Faut voir...

      Ah oui? 1994 arrive et, sans tambour ni trompette, il met entre les mains du public La Complainte des Huarts, deuxième volet de L'Essence d'un Peuple. Puis, chez D'ici et d'ailleurs, un autre éditeur de Val d'Or en Abitibi (Québec) cette fois-ci, il décide d'aborder le roman jeunesse avec lequel dénonce les dessous du scandale environnemental de la barge Irving Whale qui traîne en longueur depuis près d'un quart de siècle avec la complaisance du gouvernement canadien. À travers L'Affaire du Cachalot noir, l'auteur polémiste pointe du doigt l'indifférence gouvernementale où la ministre de l'Environnement de l'époque Sheila Copps, malgré ses belles paroles, s'est montrée plus préoccupée par les finances de la Irving Oil Company que par son rôle de ministre. Conscient de l'importance, de la gravité et de l'urgence du sujet, non seulement l'éditeur D'ici et d'ailleurs acceptera le projet, mais encore il crée une nouvelle collection pour s'assurer des suites à ce roman.

      Pas du tout assagi et encore moins essoufflé, pressé par l'urgence de dire, 1995 arrive et notre homme qui n'en fait toujours qu'à sa tête publie, chez Humanitas,  le deuxième volet du cycle qu'il entend offrir au peuple marin qui l'a (qu'il a) adopté, La Cargaison du Diable. Mais ce n'est pas encore assez; enfourchant une fois de plus sa Rossinante de plume, il publie également chez D'ici et d'ailleurs le deuxième coup qu'il portera à la ministre Copps dans le dossier de la barge Irving Whale, Le Lutin des Mers.

      En décrochant en 1995 le Prix littéraire des Associés, comme si ce n'était pas suffisant, il perce chez un autre éditeur, Éditeq de Rimouski (Québec) avec un troisième ouvrage dans la même année, un récit qu'il nomme Comme foin de mer. Ici, c'est à travers le journal naïf, mais d'une implacable lucidité, d'une fillette qu'il montrera une autre de ses préoccupations: la cruauté physique et psychologique à l'endroit des enfants.

      Deux prix littéraires qui, curieusement, correspondent précisément aux deux années où le gouvernement du Québec a proposé à sa population, par voie de référendum, d'accéder au statut de pays souverain. De là à prétendre qu'il aura son troisième prix lorsque sa province se reposera la question sur sa vision de l'avenir, il n'y a qu'un pas que notre homme n'hésite pas à franchir.

      1996 serait une année où on entendrait parler de lui. Qu'en serait-il? Lui qui nous a habitués à l'alternance, on se doute bien qu'il allait en profiter pour mettre un terme à sa trilogie L'Essence d'un Peuple, ce qu'il fait avec le roman Le Fleuve de la Mort. Mais ce n'est pas encore suffisant pour Gervais Pomerleau. Depuis longtemps, il a entrepris des recherches pour présenter un document historique sur le village Saint-Jean-Vianney au Saguenay (Québec), disparu dans la nuit du 4 au 5 mai 1971, emportant dans une coulée d'argile, 31 victimes. Plus de vingt ans d'efforts à porter seul son projet qui, aux dires du Conseil des Arts du Canada, ne peut intéresser personne, ce qui représente dans l'esprit de l'organisme gouvernemental une excellente raison de refuser toute subvention.

      Au terme de 24 ans d'efforts acharnés, seul dans la tourmente, têtu, Pomerleau arrive à ses fins et publie un document historique Saint-Jean-Vianney village englouti. À malin malin et demi, assure l'adage populaire. Il a beau être têtu, il n'en a pas encore fini avec les croc-en-jambe.  Une heure avant le lancement officiel de l'ouvrage, le jour du 25e anniversaire du glissement de terrain, les autorités municipales de Shipshaw (au sein de laquelle Saint-Jean-Vianney a été intégrée) interdisent le lancement. Curieux tout de même qu'un tel projet ne puisse pas intéresser le public. D'autant plus curieux que ce n'est pas l'écrivain qui se vengera dans toute cette affaire. En effet, dans le cadre du Salon du Livre du Saguenay-Lac St-Jean, c'est la population locale qui donne son verdict. Saint-Jean-Vianney village englouti décroche le Prix du Public ! Pas si mal pour un ouvrage dont personne n'est supposé vouloir...

      Par ailleurs, le dossier Irving Whale encore bouillonnant sous le couvercle de notre écrivain écologiste, on pouvait s'attendre à ce qu'il fasse une autre sortie, qu'il récidive tant que la barge ne serait pas hors de l'eau, hors d'état de nuire. Il signera donc, encore une fois, un troisième titre dans son année. Paraît donc avec fracas Tout baigne dans l'huile, dernier volet de ce triptyque consacré à la barge fantôme. Cependant, contraint de fermer ses portes, D'ici et d'ailleurs demandera à l'éditeur Feuille-T-on de Montréal (Québec) de prendre la relève pour le dernier titre, ce que ce dernier acceptera de faire.

      Après quelques années pour le moins bien remplies, notre plumitif, comme il se plaît à se qualifier, prend un peu de recul et 1997 ne verra paraître qu'un titre, le troisième volet de son cycle madelinot, Héritiers du Vent, toujours chez Humanitas, où il aborde la terreur et la solidarité dans l'épreuve. On a dit de Pomerleau qu'il avait une écriture cinématographique; ici il en donne une preuve frémissante.

      L'année 1998 est arrivée et une fois de plus il n'a publié qu'un titre, La Symphonie des Glaces, également chez Humanitas, quatrième volet de ses Chevaucheurs de Vagues. Aurait-il vidé ses tiroirs? Nenni! Du moins, c'est ce qu'il affirme. Davantage, il prétend chercher d'autres éditeurs qui lui permettront de continuer à s'adonner librement à ce côté plumitif compulsif dont il est atteint (gravement semble-t-il), sans qu'il soit forcé d'acheter un autre classeur à tiroirs pour empiler les manuscrits en attente de publication.

      Comme on pouvait s'y attendre, pour 1999, il nous a offert la publication de ce cinquième et dernier volet de ses Chevaucheurs de Vagues dont il conservait jalousement le titre et la teneur; on l'a compris, c'est le Rocher-aux-Oiseaux. Mais après? Lui qui nous parle depuis que la lurette est belle de son urgence de dire voulait-il nous prévenir qu'il ne survivrait pas à ce millénaire?

      1999 lui aura permis de faire son entrée dans le monde des bibliothèques virtuelles... C'est en effet le cadeau qu'allait lui faire Félix Leclerc avec le concours de Cyberscol. Mécréant comme il se définit lui-même, il était d'ores et déjà illusoire de s'imaginer qu'un homme de sa trempe puisse, ne serait-ce qu'un instant, craindre le «bogue de l'an 2000». Forcément, puisqu'il écrit toujours le premier jet de ses oeuvres à la plume-fontaine. Lui qui n'a jamais répugné à faire couler l'encre n'est pas à cours de ressource. Pour ouvrir le nouveau millénaire, Pomerleau se lance tête baissée dans l'intrigue avec son nouveau roman, Guêpes, sur trame politico-scientifique. Depuis le temps que la critique vante la qualité de sa recherche, voilà un tournant qui promet des sueurs froides...

     Un chien qui a goûté le sang, dit-on, y revient toujours. Non, Pomerleau n'en est pas un, même si l'un de ses éditeurs a déjà déclaré qu'il en avait le caractère. Et pourtant, on serait sérieusement en droit de se demander s'il se contente d'en avoir le caractère puisque, après le sang versé dans Héritiers du Vent, puis dans Guêpes, 2001 ne marque pas uniquement l'«Odyssée de l'Espace» mais bien le retour de notre homme avec un ouvrage non moins sanglant les Vents fous dans lequel il fait mariner psychiatrie, parapsychologie dans un polar d'un réalisme saisissant. Il est, assure-t-on, détenteur d'un diplôme de boucherie; est-ce à dire qu'il s'est mis en tête de ne plus faire couler que le sang plutôt que l'encre?

     Non, fort heureusement, c'est aussi un amant de la nature, amateur de randonnées dans les bois, cueilleur impénitent de champignons, ami des animaux. Avec un tel mélange, ne fallait pas se surprendre de le voir nous arriver avec un autre roman du terroir, un roman qui fleure l'humus, où la poudrerie hivernale est omniprésente: Malchut, une histoire d'hommes et de loups, au cœur de la forêt saguenéenne de la fin du XVIIIe siècle.

     Certains ont eu l'art de rire. Se pourrait-il que notre homme commence à tirer la langue? après tout, la feuille de route est pour le moins intéressante. Déjà avec dix-sept titres derrière lui, il aurait tout à loisir de pavoiser. Parce qu'ils ne sont pas très abondants les auteurs du Québec à avoir une telle feuille de route. Les cinquante ans l'ont ralenti, vous croyez? Détrompez-vous! 2003 nous ramène pour le moins un bon doublé, lequel n'est pas définitif, nous assure-t-il.

     Après un deuxième volet de sa trilogie saguenéenne le Royaume qu'il nomme tout naturellement Meneur de Loups, il nous apporte enfin ce qu'on espérait depuis belle lurette, un recueil de nouvelles au titre évocateur. En fait c'est même ce qu'il nous promettait mais peut-on décemment le gronder là-dessus? ne craignez rien, lecteurs, vous serez bien récompensés de votre (trop) longue attente. Son éditeur lui demande une douzaine de nouvelles et, depuis le temps que Pomerleau le dit, nous n'aurons pas d'autre choix que de le croire, pour répondre à la douzaine requise, il en livre vingt-trois. On ne peut donc pas dire qu'il a fait sien le titre de cette nouvelle trouvaille parce qu'il n'est, semble-t-il, L'Oiseau de Malheur que pour lui-même... qu'il publie chez Feuille-T-on, un éditeur qu'il était allé chercher pour la publication de son troisième roman-jeunesse sur le dossier Irving Whale. Espérons maintenant que notre homme continuera sur cette lancée et, pourquoi pas? peut-être une troisième publication cette année...

     
     Si vous êtes éditeur et que sa production vous intéresse (sans parler de sa productivité), libre à vous de lui faire signe. On verra bien de quoi il est capable…

Tison-Ardent

La Complainte des Huarts

Le Fleuve de la Mort

L'Affaire du Cachalot noir

Le Lutin des Mers

Tout baigne dans l'huile

Les Colères de l'Océan

La Cargaison du Diable

Héritiers du Vent

La Symphonie des Glaces

Rocher-aux-Oiseaux

Comme foin de mer

Guêpes

Saint-Jean-Vianney
village englouti

Les Vents fous

Malchut

L'Oiseau de Malheur

Meneur de Loups
Le 1er juin 2003